Depuis quelques mois, je suis invitée régulièrement à déguster, lors de rencontres, les créations des pâtissiers, chocolatiers et glaciers du Club des Sud’Crés, courant sucré de l’association Gourméditerranée. Hier avait lieu une nouvelle session, au Môle Passédat, restaurant situé au cœur du Mucem… J’avais envie de vous parler de cette rencontre mais en l’abordant sous un autre angle. J’ai pensé qu’il pourrait être intéressant de se glisser en coulisses et de suivre le processus de création d’un pâtissier. De la réflexion, du moment où le gâteau commence à être imaginé à la réalisation finale… Clément Higgins a accepté de se prêter à l’exercice. J’ai voulu tout savoir ! Je vous propose de découvrir le pâtissier Marseillais, les étapes, mais aussi les impondérables, et rebondissements, qui ont émaillé cette création.
[ 28 avril / entretien téléphonique / on fait connaissance ]
Dans la montée du Roucas, au détour d’un virage, sur la gauche, se trouve l’antre des Bricoleurs de douceurs. Et sur la façade, il est inscrit “pâtisserie atypique”. Nous voilà prévenu dès l’abord !
Pour créer ce lieu, Aurélie et Clément ont pris un chemin un peu détourné. Inhabituel – je vais tenter d’éviter de répéter trop souvent atypique – Qui penserait que le jeune pâtissier a commencé par étudier le droit et se destinait à une carrière de journaliste ? Pendant que sa future complice, et compagne, bossait dans la com…
Un job étudiant va changer la donne…
“Mon parcours est vite résumé“ me dit-il – ça, c’était sans compter sur ma curiosité naturelle ! Une question en entraînant une autre… – Après un Master en droit, Clément s’est lancé dans une année de préparation à Sciences Po Lille, via le web, et a présenté plusieurs concours. Cette activité lui laissant “pas mal de temps libre », petit boulot d’étudiant est déniché à La pizzeria l’Eau à la Bouche. Pour qui ne connaît pas ce lieu… Ce n’est pas une pizzeria ordinaire ! Le patron, Rodolphe Bodikian, pâtissier de métier, a fait ses classes chez Alain Ducasse et Guy Savoy avant de lâcher les étoiles pour un four à pizza. Cette rencontre avec Rodolphe, et les riches échanges qu’elle a occasionnée, va le détourner de ses projets de carrière journalistique. Le jeune homme envisage alors une reconversion, encouragé par sa compagne fraîchement rencontrée, Aurélie, qui vient de quitter son job pour préparer un CAP cuisine.
Le diplôme fait ne fait pas l’homme
Curieusement, son diplôme de droit s’est avéré un peu encombrant puisqu’il lui a valu un refus d’accéder au CAP pâtissier dispensé par l’école hôtelière de Marseille. Surdiplômé ne ferait pas bon pâtissier ? Loin de se laisser abattre par cette décision pour le moins discutable, c’est sans complexe qu’il persévère et prend une autre voie. « Je n’avais pas trop le choix, comme ils ne m’ont pas pris, je me suis débrouillé tout seul ». Tout va alors s’enchaîner, non sans efforts : un stage d’un mois à la Pâtisserie Saint Victor, un job en cuisine au restaurant Les Gamins, une escapade professionnelle de plusieurs mois à Sydney… Puis c’est le retour en France et la création du laboratoire de pâtisserie, une production sur commande destinée aux restaurants et à quelques boutiques. À peine un an plus tard, le 23 décembre 2015, ouvre la boutique des Bricoleurs de douceurs et leurs audacieuses créations pâtissières sont enfin disponibles pour tous les Marseillais (es).
[ 28 avril / toujours au téléphone / on papote encore / Gourméditerranée et le club des Sud’Crés ]
Mais avant même l’ouverture de la pâtisserie va débuter l’aventure Gourméditerranée*, grâce au soutien, en particulier, de Sylvain Depuichaffray, pâtissier bien connu de la cité Phocéenne, et Frédéric Charlet, chef du Bistro du cours. Quelques bons mots glissés dans la bonne oreille ont facilité la rencontre avec le Vice-Président, et chef étoilé, Lionel Lévy. Laquelle s’est assortie d’une convaincante dégustation de gâteaux. Clément devient alors membre de l’association.
Sud + sucrés = Sud’Crés
Un club de pâtissiers et chocolatiers, cette bonne idée n’est pas vraiment nouvelle. On la doit aux Parisiens dont le Club des Sucrés rassemble la crème des pâtissiers de la Capitale depuis plus d’une dizaine d’années déjà. Un concept qu’Ezéchiel Zérah, coordinateur pour Gourméditerranée, a proposé de reproduire et qui fut accueilli avec enthousiasme par les membres. Le Club des Sud’Crés est créé à l’automne 2015, avec pour objectif de promouvoir le savoir-faire et la créativité des talents méditerranéens, pâtissiers, chocolatiers et glaciers. À cette nouvelle branche, il fallait un porte-parole. “Ils cherchaient quelqu’un pour s’occuper du mouvement, je pensais que Sylvain était plus légitime” mais ce dernier n’étant pas disponible, Clément accepte le rôle qui consiste, pour l’instant, à “coordonner et organiser les rencontres des Sud’Crés, mettre en place des évènements locaux, faire le relais avec la presse”. Il entend, par la suite, développer et promouvoir le Club, organiser des évènements extérieurs et ambitionne de donner aux Sud’Crés un rayonnement plus large, aidé dans ces tâches par Claude Krajner, artisan chocolatier.
* Association des chefs, restaurateurs et artisans de la méditerranée. Pour en savoir plus : Clic
[ 28 avril / le téléphone chauffe un peu / on papote toujours / confidences + gourmandes ]
Ayant juré de garder le secret, je peux prendre connaissance du thème de la prochaine rencontre : les souvenirs d’enfance. Gâteau, goût, parfum… Libre à chacun d’interpréter cette thématique comme il le souhaite.
Dis, comment on pense un gâteau ?
En premier lieu, une importante question se pose : « Est-ce qu’il va falloir le reproduire ? » pour une commercialisation à la boutique. De la réponse dépend la façon dont le pâtissier imaginera sa création. Si oui, il doit veiller à la faisabilité de répliquer, à grande échelle, son gâteau. Si non, si la création peut être unique, cela implique moins de contraintes et il peut « s’amuser »… Se lâcher beaucoup plus !
Cette fois, la création sera éphémère. Et elle sera une forêt noire. « Une évidence ». Un gâteau que sa grand-mère, pâtissière exceptionnelle, réalisait pour chacun de ses anniversaires. « C’est le gâteau qu’elle me faisait étant petit. Je lui ai toujours réclamé, jusqu’à mes 15 ans… Et plus tard même ! ».
Les premières idées sont mises sur papier, dessinées et les composants répertoriés. Certaines finissent à la poubelle comme celle d’un gâteau trompe-l’œil qui ressemblerait à une cerise. « Vu et revu ! ». Au format individuel, de table ou de soirée, la taille reste à déterminer, Clément voit bien ces petites forêts noires prendre place dans un décor. Le jeu des mots faisant aussi son œuvre, la scène sera une forêt, sombre, aux allures plutôt fantastiques. Son inspiration se nourrit alors de l’univers de Tim Burton, dont les films ont bercé son enfance. Et l’immense arbre tortueux du film Sleepy Hollow lui plairait comme support des gâteaux. Un cadre qui peut paraître un peu sinistre mais qu’il trouve « particulièrement esthétique ». En tout cas, il espère, qu’à la fin, il le sera !
« On va bosser autant sur le gâteau que sur la mise en scène », déclinée dans des tons de noir et rouge. L’arbre, élément central, sera une pièce artistique en chocolat. Les forêts noires, très chocolatées, un peu vanillées, agrémentées de « fantastiques » cerises amarena seront entièrement recouvertes d’un glaçage rouge. Peut-être avec une finition en chocolat, d’un style inachevé, genre cassé, pour rester dans l’ambiance…
La poursuite de cet entretien est prévue lors des essais, début mai.
[ Note du 17 mai : ] La suite est reportée de quelques jours. En attendant, il me transmet les croquis. Et m’annonce qu’il y a du changement. L’arbre imaginé s’avère trop compliqué à transporter…
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[ 20 mai / rencontre chez les Bricoleurs / découverte par petits bouts ]
Dés l’entrée, on est surpris, agréablement, par des couleurs et contrastes audacieux, inhabituels dans une pâtisserie Marseillaise. Le bleu, plutôt canard, et le blanc côtoient des carreaux émaillés, avec intensité et élégance, mettant en valeur le long comptoir boisé et la vitrine où s’exposent les créations aux petits noms originaux, jeux de mot bien trouvés. Je ne fais que traverser la boutique car c’est dans le laboratoire que se déroule notre entrevue. Le Bricoleur a mis en pause sa recette, en attendant ma venue, afin de me montrer quelques étapes.
L’arbre ne cachera pas la forêt
Côté gâteau, la composition n’a pas changé depuis le croquis. Toujours pas la classique chantilly dans la liste des ingrédients, seulement du chocolat et des cerises. La forme n’est “surtout pas” en demi-sphère “pour que cela ne ressemble pas à des cerises.” Le moule utilisé, familièrement appelé “babybel”, est rond mais pas trop bombé, un peu comme le fameux fromage… Quant à la taille des gâteaux, décision a été prise de mettre en scène sur l’arbre en chocolat les deux formats, table et soirée. – Petit privilège d’intervieweuse, j’assiste au remplissage des moules, en croquant une délicieuse cerise amarena, véritable bonbon ! –
Concernant la scène, nouveau renversement, moins radical cette fois. Clément m’avoue s’être éloigné de “l’arbre de base” en raison des contraintes techniques, des risques de casse liés au transport, et aussi parce que ses “envies ont évolué”. Les racines, en chocolat plastique, pâte de chocolat souple et malléable, ont été éliminées car “pas très jolies à cause de la différence de couleur avec le chocolat brut”. Et les deux parties de l’arbre du dessin sont… devenues trois ! Très à l’aise dans cette activité pourtant nouvelle, “c’est la première fois que je fais de la sculpture en chocolat, et je m’amuse bien”, raconte-t-il tout en m’expliquant, et me montrant, sur un morceau laissé lisse intentionnellement, comment il façonne le chocolat pour lui donner sa texture d’arbre.
La souche, en pur chocolat, imposante, superbe, a été coulée dans un cylindre puis délibérément fissurée, à l’aide d’un couteau, et brossée pour un effet bois très réaliste. Le tronc, en deux morceaux, cassé dans la longueur, a été victime d’un petit accident de fabrication. Une cassure qui aurait pu facilement être réparée si elle n’avait pas créé de nouvelles interrogations sur la composition de la scène. Combien de morceaux ? 2 ou 3 ? Dans quel sens ? … L’assemblage final se fera “sans doute dimanche après-midi”.
Je repars en ayant hâte d’être à lundi, et en pensant qu’il est bien possible que j’ai de nouvelles surprises, lors de la présentation au Mucem…
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[ Rencontre au Mucem – Môle Passédat / Révélation des gâteaux ]
Rendez-vous est donné au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, en fin d’après-midi. Petits plats dans les grands pour cette session du Club des Sud’Crés, Christophe Felder est l’invité d’honneur et nous sommes reçus au dernier étage du Mucem, au Môle Passédat, second resto de Gérald Passédat, chef Marseillais triplement étoilé. La vue est époustouflante comme vous pouvez l’imaginer, le mistral du jour accentuant luminosité et contraste, et 14 pâtissiers, chocolatiers ou glaciers s’apprêtent à nous dévoiler leurs créations… Mais moi, je suis venue surtout pour voir la forêt noire !
Bouquet final pour la forêt noire
Dès ma sortie de l’ascenseur, chaleur, bruits et foule me cueillent un peu violemment. Je suis surprise par cette ambiance et tente de me frayer un chemin jusqu’à l’immense table où sont exposées les créations. Ouf ! Très vite, je l’aperçois ! Imposant, très chocolaté, sombre. Le décor est planté en 3 morceaux. Posées dans des écrins en feuille de chocolat, chacune froissée à sa façon, les petites forêts noires trônent sur les bouts d’arbre, morceaux de tronc sens dessus et sens dessous. Je me dépêche de photographier l’œuvre avant qu’elle ne soit entamée – Photos que j’ai lamentablement ratées. Jean-Philippe Garabedian me sauve avec les siennes. Grand merci ! –
Le temps vient enfin de goûter ces fameux gâteaux. J’hésite un peu, juste une petite seconde, à casser l’harmonie du décor. Je pioche alors une version soirée et croque. Puissance du chocolat et légèreté de la mousse. Pep’s du confit de cerises, fondant mais avec quelques petits morceaux très parfumés d’amarena. Croustillant du crumble et croquant de la feuille en chocolat. Équilibre parfait, délicieux moment, d’autant plus qu’il s’est fait attendre, et promesse de régalade tenue !
Et Clément Higgins me fit aimer la forêt noire…
(clic sur l’image pour agrandir) – Crédit Jean-Philippe Garabedian
Je remercie Aurélie et Clément pour leur accueil, leur gentillesse et leur disponibilité. Cette série d’entretiens a un peu plus encore titillé ma curiosité à leur égard. J’aurais aimé qu’on discute de ces divins pamplemousses Corses aperçus dans la réserve, ou de ces jolies fraises du producteur local qui attendaient leur tour pour devenir gâteau. Qu’on parle de leurs choix des matières premières, fraîches, locales et d’exception… Mais ce n’était pas le sujet du jour et j’ai déjà été très bavarde ! Une autre fois, peut-être ?
Bricoleur de douceurs
202 Chemin du Vallon de l’Oriol, 13007 Marseille
09 86 35 23 92
Mardi au vendredi : 09:30 – 13:00 / 14:30 – 19:00
Samedi : 09:30 – 19:00
Dimanche : 09:30 – 13:00
Je n’ai jamais aimé la Forêt Noire, mais là, je dois bien avouer que je ne serai pas la dernière à bien vouloir la goûter, d’autant que la présentation est vraiment exceptionnelle ….
@ Cali : Tout pareil ! Et je suis certaine que celle-là, tu l’aimerais !
Ce texte est passionnant car il raconte tout à la fois un parcours humain et créatif. C’était un vrai plaisir de lecture, merci
Quel plaisir de lire le parcours de ce passionné !
Merci ! Bonne journée, bises.
@ Carole : merci 🙂
@ Psaltis : Pierre, ton commentaire me fait très (très !) plaisir 🙂
lire est déjà une dégustation gourmande ….. aussi sur la dernière image ce fût incontrôlable j’ai envoyé la main pour saisir ce qui m’a fait penser à un petit escargot sur le « tronc » !!!!!
c’est sûr 202 chemin du vallon de l’Oriol reste en mémoire
merci pour ces délicieux instants
Très belle plume, j’ai eu le sentiment de lire une nouvelle mais en mieux, car connaissant l’auteur, les personnage et tout le reste de l’histoire.
Vraiment très emballer pour faire partie de la prochaine!!
A très bientôt j’espère.
CDT
Pierre Lamour
La T5
@ Marny : merci ! le lieu devient vite inoubliable 😉
@ Pierre : merci 🙂